Attentat d’Arras : discours de Catherine Nave-Bekhti au Conseil national confédéral, le 17 octobre 2023

L'attentat d'Arras, qui a entrainé la mort d'un enseignant et blessé trois autres personnels, tous s'étant exposés pour protéger l'enceinte du lycée et les élèves, est un nouvel acte terroriste contre nos services d'Etat laïque et leurs agents publics...

Attentat d'Arras Catherine Nave-Bekti, secrétaire générale du Sgen-CFDT, leur a rendu hommage lors de son discours prononcé dans le cadre du Conseil national confédéral, mardi 17 octobre 2023. En rappelant aussi combien sont fortes les attentes des personnels, relayées par la CFDT, en matière de sécurité ; en matière d’accompagnement, de soutien psychologique pour les rescapés, les collègues des victimes, les élèves ; et plus globalement, pour tous les personnels de l’éducation, qui continuent de porter les valeurs de la République, la laïcité, la défense de la connaissance et de l’esprit critique. En rappelant encore qu’il faut savoir raison garder face à de tels actes terroristes, ne pas céder à l’amalgame et aux solutions faciles.

Un extrait de ce discours a paru en éditorial du no 292 – Août-septembre-octobre 2023 de Profession Éducation, le magazine des Sgen-CFDT.

« Bonjour à toutes et tous, attentat d’Arras

Prendre la parole aujourd’hui devant le conseil national confédéral est facile et difficile à la fois.

Facile parce que notre belle organisation est un espace social avec des valeurs et des principes chevillés au cœur et au corps des militantes et militants, qui constituent le cadre de nos actions, de nos réflexions dans nos structures fédératives et syndicales. C’est bien le sens de la note et de l’actualisation que tu en as faite Yvan, auxquelles nous souscrivons pleinement à la fédération Sgen-CFDT. attentat d’Arras

Difficile car le terrorisme islamiste a de nouveau tué sur le sol européen hier soir à Bruxelles, vendredi à Arras, et il tue de manière massive et effroyable sur d’autres continents. Hier, nous avons partagé une ou des minutes de silence en hommage à deux enseignants assassinés parce qu’enseignants par des fanatiques armés par une idéologie mortifère dévoyant l’Islam : Samuel Paty et Dominique Bernard.
Hélas, ces dernières années d’autres agents des services publics ont été tués dans l’exercice de leurs missions, parce qu’ils exercent ces missions : Agnès Lassalle, Carène MezinoLudovic Montuel à qui s’ajoutent des membres des forces de l’ordre. Syndicalement, cela nous amène nécessairement à interroger les voies et moyens que nos employeurs doivent mettre en œuvre pour mieux garantir la sécurité des agents en contact avec le public sans discrimination et dans des contextes parfois conflictuels. Nos fédérations, nos syndicats conduisent sans relâche ce travail revendicatif – hier dans le cadre des CHSCT, désormais dans celui des formations spécialisées des comités sociaux d’ administration (CSA).
Le 16 octobre 2020, le 13 octobre 2023, comme en 2016 lorsque Jessica Schneider et Jean-Baptiste Salvaing ont été assassinés à leur domicile, c’est autre chose qui se joue aussi. Les deux assaillants qui ont tué deux enseignants sont sans doute l’incarnation d’une forme d’ubérisation du terrorisme islamiste, ils s’en sont pris à l’École française pour ce qu’elle est et ce qu’elle fait. De ce point de vue, il serait illusoire d’imaginer que le risque zéro pourrait exister. Et si des enseignants, des personnels travaillant dans les établissements scolaires ont peur, ils et elles sont aussi souvent plus déterminés à poursuivre leur travail, à faire école avec tous les élèves, parce que ce pour quoi l’École est attaquée est cela même qui donne du sens à leurs missions.

Les deux assaillants qui ont tué deux enseignants sont sans doute l’incarnation d’une forme d’ubérisation du terrorisme islamiste, ils s’en sont pris à l’École française pour ce qu’elle est et ce qu’elle fait. De ce point de vue, il serait illusoire d’imaginer que le risque zéro pourrait exister.

Attaquée parce que laïque comme le rappelle le communiqué CFDT : « Les enseignements sont laïques. Afin de garantir aux élèves l’ouverture la plus objective possible à la diversité des visions du monde ainsi qu’à l’étendue et à la précision des savoirs, aucun sujet n’est a priori exclu du questionnement scientifique et pédagogique. Aucun élève ne peut invoquer une conviction religieuse ou politique pour contester à un enseignant le droit de traiter une question au programme ».
Attaquée parce qu’elle a pour but affiché d’émanciper, de construire chez chacun et chacune la capacité à penser par soi-même tout en reconnaissant l’Autre, en apprenant de lui. Attaquée parce qu’elle a pour but affiché d’être un espace social et institutionnel dans lequel il faut faire vivre autant que possible les valeurs qui sont affichées au fronton des édifices publics. attentat d’Arras

L’École ne peut être seule un rempart, l’École ne doit pas devenir un sanctuaire clos sur lui-même.

Nous avons affirmé ensemble qu’il fallait faire bloc contre le terrorisme islamiste et l’obscurantisme. L’École ne le pourra pas seule. Il faudra réaffirmer ce que nous attendons de notre École. Il faudra adresser le fait que le décalage entre le récit que notre société se fait sur son École et la réalité de nos choix de consommateurs d’École abîme l’École. Il faudra analyser en quoi le fait que l’École devienne un terrain d’affrontement idéologique et politique est aussi une menace pour le caractère laïque des enseignements. Analyser en quoi passer d’une période où un fait divers égale une loi pénale répressive à celle où un fait d’actualité égale une réforme éducative brouille sans cesse les priorités éducatives et empêche le travail long, lent, patient et non linéaire de construction pour chaque enfant, adolescent de son esprit critique et de sa capacité à penser.

notre État a plusieurs fois faibli face aux fauteurs de haine

L’École ne peut être seule un rempart, l’École ne doit pas devenir un sanctuaire clos sur lui-même. attentat d’Arras
Ériger l’École en rempart contre les obscurantismes suppose de ne rien céder aux pressions violentes et meurtrières du terrorisme islamiste et de ne rien céder aux pressions de l’extrême droite et des intégrismes religieux de tout poil qui mentent sur les enseignements dispensés, refusant eux aussi la laïcité des enseignements, appelant sur les réseaux sociaux à la violence contre les enseignants, au viol d’enseignantes dès lors qu’il s’agit d’éduquer à l’égalité filles garçons, d’éduquer à la sexualité, d’éduquer pour la non-discrimination.

Or notre État a plusieurs fois faibli face aux fauteurs de haine : recul sur les ABCD de l’égalité parce que, déjà, ce qu’on ne nommait pas encore l’infox avait effacé le réel dans un pan entier du débat public, sortie pédagogique annulée pour une collègue de la Somme encore ces jours-ci menacée par l’extrême droite parce qu’elle travaille avec ses élèves et étudiants sur l’altérité. attentat d’Arras

Les personnels de l’Éducation veulent continuer à éduquer en faisant vivre les valeurs de la République dans un cadre laïque. Vous vous souvenez sans doute de la table ronde sur l’éducation lors d’un précédent CNC. Si l’École doit être un des remparts et non pas le rempart contre les obscurantismes, c’est pour permettre l’émancipation, c’est pour faire vivre des valeurs et pas seulement les proclamer en l’air. Mais qui veut vraiment de l’égalité quand le séparatisme scolaire s’accroît et que par ailleurs dans notre société les inégalités se creusent et que la lutte contre les discriminations devient suspecte pour certains, certaines ? Comment incarner la fraternité sans se soucier des vaincus de la compétition scolaire et en réduisant la solidarité institutionnelle – ce qui renvoie des personnes à une dépendance interindividuelle et intrafamiliale propice aux situations d’emprise ?
L’École peut beaucoup mais elle ne peut pas tout et il faudrait redonner à l’École une boussole claire et acceptée par tous, un horizon. L’École ne peut pas seule être un rempart. C’est toute la société qui doit faire bloc, ensemble, sans céder aux fauteurs de haine, en s’astreignant à l’exercice de l’honnêteté intellectuelle, en refusant l’hyperpolarisation de chaque débat et discussion. attentat d’Arras

Ne pas dévier quand l’École est ainsi attaquée suppose de nommer clairement les choses : c’est le terrorisme islamiste qui arme et active des fanatiques et nous ne le confondons pas avec l’Islam

J’ai commencé en disant qu’il était facile de parler aujourd’hui ici. Facile parce que nous agissons et nous nous exprimons en responsables d’une organisation collective, démocratique qui veut agir sur le réel avec les travailleurs et travailleuses. Nous jouons notre rôle pour clarifier des débats, des enjeux en ne déviant pas de nos valeurs. Ne pas dévier quand l’École est ainsi attaquée suppose de nommer clairement les choses : c’est le terrorisme islamiste qui arme et active des fanatiques et nous ne le confondons pas avec l’Islam, et je peux vous dire qu’en intersyndicale, il est complexe voire impossible de le dire et de l’écrire. Ne pas dévier quand l’École est ainsi attaquée, c’est se refuser aux amalgames que les fauteurs de haine veulent orchestrer et qui ajoutent à l’effroi la peur de représailles et de l’exclusion des collègues et des élèves comme les enfants tchétchènes de la voisine d’un des secrétaires nationaux qui samedi avaient peur de ne pas pouvoir retourner à l’École de la République, peur d’être assimilés à un tueur. Notre organisation peut avoir cette clarté et doit s’y tenir face au terrorisme pour les valeurs qui structurent notre engagement, pour les agents tués, blessés ou menacés, pour les enfants que nous avons toutes et tous la responsabilité d’éduquer. »